vendredi 18 juin 2010

note d'investigation M1

L’hôpital : vécu non assumé de détresse sociale ?
Ébauche d’une étude ethnographique et socioanalytique.


Directeur du mémoire : Remi Hess

Table des matières

1. De mon métier à mon sujet de recherche… 3
2. Objectifs de mon investigation 4
3. Démarche d’investigation 5
3.1 La position du chercheur intervenant 5
3.2 Éléments clés de la socianalyse 6
4. Présentation de mes deux corpora 10
4.1 Journal de bord 10
4.2 Journal d’investigation 14
5. Etat de la recherche quant à mon questionnement 18
5.1 « Quand les soignants témoignent. Du droit individuel à « l’oubli » au devoir collectif de mémoire » (Philippe Gaurier 2009) 18
5.2 « Une ethnologue à l’hôpital. L’ambigüité du quotidien infirmier » (Anne Vega 2000) 20
5.3 « Infirmières le savoir de la nuit » (Anne Perraut Soliveres 2001) 21
5.4 « Code des salles de soins 2e édition. Recueil des textes usuels à la pratique des soins choisis et commentés » (Gilles Devers 2007) 23
5.5 Les lacunes des publications présentées 23
6. Projet d’analyse du corpus « Journal de bord » 24
Bibliographie 28


1. De mon métier à mon sujet de recherche…
Je débute mon activité professionnelle par le métier d’aide-soignant en septembre 1989. Je me suis dit que je pourrais aider l’autre en difficulté, en faisant abstraction de l’aide dont j’aurais peut-être eu besoin. C’était en quelque sorte me soigner par procuration. 25 ans plus tard, je me rends compte que cette « thérapie sauvage » n’a pas tellement fonctionné. Actuellement, mon questionnement professionnel tourne autour de : puis-je aider, soigner sans que je ne fasse pas un profond travail sur mon histoire ?
J’ai souvent reproché à l’institution hospitalière de ne pas prendre en compte le singulier. Mais mon reproche n’était-il pas autre ? N’étais-je pas en train de lui demander tout simplement de prendre en compte ma singularité et ma détresse ? Là n’est pas son rôle. Mais ce n’est qu’aujourd’hui que je peux le pointer du doigt.
Peut-être que cette même question, cette même problématique se sont posées au sein de mon cursus universitaire. Une fois posé ce constat, je suis un peu perdu et je me demande où je vais. Je suis censé soutenir ma note d’investigation à la fin du mois de juin. Mais qu’en sera-t-il ?
Peut-être que tout simplement mon métier et mon statut d’étudiant peuvent m’aider à me construire, à devenir un homme plus autonome, moins en souffrance ? Si déjà j’arrive à obtenir ce résultat, j’aurais gagné une partie du combat que je mène contre la partie la plus obscure de ma vie. Je pourrais peut-être regarder en face celui que je serais devenu.
Tout au long de ma vie professionnelle, ma prise de conscience de mon rôle dans le métier a évolué. Je suis moins dans la revendication et la victimisation. Longtemps, j’ai vu dans la « figure » de la cadre la réincarnation de la figure maternelle (de ma mère), et de ce fait, j’avais des comptes à régler. Aujourd’hui, j’envisage cette relation de travail simplement sous l’aspect hiérarchique. Elle (la cadre) est là pour « faire tourner un service » avec ce dont elle a à disposition ; elle doit appliquer les textes de gouvernance. Il ne me faut pas me tromper de cible si les choses vont mal. Le travail s’apaise, je m’apaise et relativise. Il reste tout de même une contradiction institutionnelle : devoir faire encore plus pour le patient avec encore moins de moyens.
C’est à partir de cette réflexion que le sujet de ma note de recherche s’est fait jour et a évoluée. Ainsi, je note au 10 février 2010 dans mon journal de recherche :
« Les choses se mettent en place petit à petit et j’arrive un peu mieux à cerner le travail qui m’est demandé. Aujourd’hui, je pourrais le formuler ainsi : ‘Faire la socianalyse du service de soin dans lequel je travaille’. La formulation peut encore évoluer.’
Dans cette notre d’investigation, je préciserai d’abord mes objectifs et « hypothèses de travail ». Le les situerai dans le cadre actuel du débat sur le métier de soignant. Ensuite, je discuterai de la démarche méthodologique, en l’occurrence de l’approche socioanalytique de type ethnographique ; je présenterai également mes deux corpora. Enfin, j’évoquerai quelques pistes d’analyse afin d’introduire mon travail de Master 2.
2. Objectifs de mon investigation
L’objet de ma recherche constitue l’institution hospitalière (attention ton objet n’est pas problématisé, c'est-à-dire qu’il faudrait détailler ton objet, reprendre ce qui est surligné en jaune). Je travaille dans l’unité 69 22, il s’agit d’un service de médecine interne de 28 lits. Sa spécialité est la nutrition, la diabétologie et toute forme d’addiction (éthylisme, toxicomanie, etc.).
Pour assurer la continuité des soins, nous nous retrouvons à deux soignants : une infirmière et un aide-soignant. Du côté médical un interne est de garde pour 350 lits. De ce fait, nous sommes relativement livrés à nous-mêmes et devons fonctionner en grande autonomie. Le service se situe dans le plus grand hôpital d’une grande ville dans l’est de la France, l’hôpital « Hautepierre », établissement rattaché au Centre hospitalier universitaire (CHU).
Je propose d’observer, analyser et définir quelle est la place et rôle du patient dans une institution hospitalière. Je préciserai par là même ce qui définit la relation du patient et du soignant aux soins et me questionnerai si mon implication change ma posture de soignant.
Je partirai de suppositions suivantes :
- Il y a conflit entre d’un côté, la « marchandisation » de la maladie et du malade et de l’autre la dimension psycho-sociale de la maladie et l’attente de réparation du patient.
- Ce conflit fait évoluer ma posture envers l’institution et le patient.
J’aborderai la question de ma propre implication et le désir de me réparer – de réparer l’autre dans le métier de soignant.
3. Démarche d’investigation
J’aborderai dans ce chapitre trois sujets : le positionnement du chercheur impliqué, les concepts de la socianalyse et les outils ethnographiques que sont mes journaux d’investigation et de bord.
Dans ma démarche, je suis la méthodologie développée par la socianalyse. Il s’agit d’une démarche clinique d'intervention. R. Hess et M. Authier (1981 : 94) de la manière suivante :
« La socianalyse, c’est la réalisation, sur le terrain, en situation d’intervention, de la théorie de l’analyse institutionnelle. L’intervention socioanalytique consiste à créer artificiellement un mouvement dans une institution, puis à freiner ce mouvement pour faire l’analyse du processus social ainsi créé. »
3.1 La position du chercheur intervenant
Dans le cadre d’une telle démarche, l’observateur a la position du chercheur impliqué qui intervient lui-même dans l’interaction.
A ce sujet, j’ai noté le 9 mars 2010 dans mon journal de recherche :
« Professionnellement je me retrouve dans « un cul-de-sac » car si rien ne bouge pour moi je risque de rester jusqu’à l’âge de la retraite à travailler à l’hôpital. Je suis conscient que c’est à moi de me donner les moyens de pouvoir bouger changer d’orientation professionnelle. Je trouve que ce n’est pas si simple que ça j’ai l’impression de m’être « enkyster » dans mon travail. Pour en être arrivé là je pense que je dois en retirer un bénéfice secondaire. Peut être que celui-ci est de l’ordre d’un travail rodé et en terrain connu. En rédigeant ces lignes je me dis que la posture dans laquelle je me retrouve professionnellement et celle que je reproche à certains de mes collègues. Il n’est pas évident pour moi d’en prendre conscience. Cela veut aussi dire que je n’ai pas avancé autant que je l’aurais souhaité sur le terrain de la psychanalyse. Je dois peut-être aller voir du côté de ce que j’interroge chez les autres et tenter, un tant soit peu, de mettre en application chez moi les changements que je désire chez les autres. »
D’abord, le sujet doit être impliquant pour le chercheur : le choix de ma recherche est en lien avec un sujet qui me tient particulièrement à cœur. J'ai choisi comme terrain d'observation l’hôpital, lieu d'implication s’il en est, pour moi. Il me semble que tant dans le choix du sujet que dans ma façon de l'aborder il y a implication.
Cependant, en sciences sociales, il faut mettre en place une certaine distanciation. Elle permettra de se rendre compte des affects qui peuvent jouer dans l’intervention et de son analyse. Cette question de posture sera sous-jacente dans l’écriture de mon journal de bord « Au fil de mes nuits ». Mes propos demandent à être « objectivés » par la réflexion.
Par ailleurs, il faut être vigilant au fait que peut-être, le sujet a déjà été abordé. Donc, il faudra y apporter quelque chose de nouveau par rapport aux recherches déjà faites. Si rien n'a été écrit, l'apprenti chercheur se retrouve confronté à un terrain vierge et de ce fait peut se perdre dans ces pistes de recherche. Il me semble que le tuteur (le directeur de recherche) prend toute sa place dans la guidance qu'il peut offrir un étudiant apprenti chercheur. À ce niveau là, il peut y avoir partage d'expériences, le tuteur peut mettre en œuvre « son éducation tout au long de la vie » dans le champ bien spécifique qui est l'accompagnement de la production d'un travail universitaire.
Le regard porté sur l'objet est déterminant, « si le regard est simple, la recherche le sera tout aussi » (Christian Verrier 2010, extrait de la conférence). Il nous est donc indiqué qu'il vaut mieux avoir un regard « complexe », être dans la multiréférentialité. Je me demande si je ne puis pas engager la recherche sous cet angle-là, car dans mon objet de recherche est liée aux groupes :
- groupe patients.
- Groupe soignants.
- Groupe patients / soignants.
Toutefois, un des risques de la multiréférentialité est de devoir étudier l'objet sous toutes ses facettes. Le chercheur risque de passer à côté de l'une d'entre elles. Cette méthode complexe est difficile à mettre en œuvre. Elle a de multiples champs d'application, Christian Verrier nous dit que si je saisis bien tout personne n'est arrivé à expliquer la façon dont on pouvait passer du concept à son application.
3.2 Éléments clés de la socianalyse
La socianalyse n’a pas seulement comme objet la conscience collective, mais elle met à jour les rapports de pouvoir réels, elle permet de reformuler certains termes des conflits. Ainsi, nous distinguons entre les concepts suivants :
• L’institué : ce qui est déjà là : les règles de vie, les conventions, etc.
• L’instituant : c’est l’action d’intervenir dans l’institué pour le modifier, pour s’y opposer, etc.
• L’institutionnalisation : c’est la mis en place de nouvelles structures, de réseaux, etc. permettant de mieux gérer les tâches à accomplir.
• L’analyseur : c’est l’incidence qui fait surgir le non-dit de l’institution.
Francis Tilman (2005) précise le concept de l’analyseur :
« L’analyseur peut être ‘naturel’ ou ‘construit’. L’analyseur naturel est celui qui survient dans la vie d’une organisation sans qu’il ait été provoqué à des fins d’analyse. L’analyseur construit est celui qui est mis en place pour provoquer volontairement un incident dont la tension forcera chacun à abattre ses cartes. »
En partant de ces éléments clés de la socianalyse, je vais tenter d’articuler les différents termes au vu de ma pratique professionnelle. Je déterminerai l’hôpital comme l’institué avec les règles qui s’y rattachent :
• Le règlement intérieur stipulant les horaires de travail par roulement (matin, après midi et nuit), la tenue vestimentaire à adopter en secteur de soins, le respect du patient et de la hiérarchie. Le temps de pose octroyé sur une journée de travail, etc.
• Les pratiques professionnelles dictées par des protocoles de soins avalisées par la direction des soins infirmier. Pour ne citer quelques exemples :
- Comment désinfecter un point de ponction avant de poser une perfusion.
- Quel protocole appliquer avant de faire une glycémie.
- Comment faire une toilette en technique tout en respectant l’intimité du patient.
- Protocole de désinfection du matériel et des surfaces lisses (plan de travail, chariot de soins),
- etc.
Ainsi, nous avons également un protocole pour préparer les chariots de linges pour l’équipe du matin. Tout se compte, il me faut installer sur le plateau du haut :
20 draps,
5 alèzes,
10 serviettes de toilette,
2 boites de gants taille M et S,
1 solution hydroalcoolique,
1 rouleau de sac poubelle.
Sur le plateau du bas :
15 gants de toilettes à usage unique,
De la cellulose,
5 chemises d’aliter blanche,
5 alèzes à usage unique,
Des couches de plusieurs tailles.
Ainsi, on peut voir que tout est règlementé et « protocolisé » comme il se doit pour une grande institution telle qu’un hôpital universitaire.
En ce qui concerne l’analyseur, je vais me référer, à titre d’exemple, à un passage de mon journal de bord du samedi 15 mai 2010 :
« Un contrat a été passé avec le fournisseur « essuie-mains ». Sur le site informatique interne aux hôpitaux universitaires de Strasbourg, un article a attiré mon attention : formation quant à la bonne utilisation des essuie-mains. Il est plus épais et plus doux donc deux feuilles suffisent. Dans le cadre du retour à l’équilibre des comptes, la direction compte faire une économie de 75 000 € sur une année grâce à ce nouveau produit. Il est demandé que 60 % du personnel soignant partent en formation sur ce nouveau produit, formation dispensée par le fournisseur d’essuie-mains. Si toutefois la quantité d’essuie-mains ne venait pas à baisser mais que les 60 % du personnel soit parti en formation, l’entreprise s’engage à ne pas faire payer l’excédent des essuie-mains utilisés. – À l’usage, nous nous rendons compte que deux feuilles ne suffisent pas. Soit nous n’avons pas les bonnes pratiques, soit le produit ne correspond pas à nos besoins. En tout état de cause, peu de personnes de mon service désirent suivre cette formation. »
Bien évidemment le personnel de mon service est contre cette formation qui remet en cause nos pratiques professionnelles. L’institution douterait-elle que nous ne sachions pas nous laver les mains ? D’un seul bloc le personnel a refusé cette formation. Outre le fait que nous ne sommes pas en nombre suffisant pour la bonne prise en charge des patients, nous estimons que c’est du temps perdu pour permettre une meilleure rentabilité financière de l’hôpital.
L’analyseur se retrouve donc dans la demande institutionnelle d’acquérir une qualification supplémentaire qui est ressenti par les personnes concernées comme inutile et superflue. L’analyseur est donc constitué des « éléments qui, par les contradictions de type divers qu'ils introduisent dans la logique de l'organisation, énoncent les déterminations de la situation. » comme dit Remi Hess (1975 : 16) L’analyseur pointe ici l’absurdité du fonctionnement d’une institution qui n’a pas plus comme objectif l’être humain dans sa globalité mais vise une marchandisation de la santé.
Afin de mieux caractériser notre propre posture, rappelons que F. Tilman distingue entre trois modes d’action que l’on peut avoir dans le cadre d’une recherche impliquée :
• l’action institutionnelle : l’acteur s’appuie sur les règles de l’institution,
• l’action anti-institutionnelle : l’acteur se dresse contre les règles de l’institution,
• l’action contre-institutionnelle : l’acteur agit à côté des règles de l’institution.
Compte tenu de notre statut dans l’institution – salarié en bas de la hiérarchie, dépendant d’une multitude de « supérieurs » – notre action se situe plutôt au niveau de l’action anti-institutionnelle.
En dernier, il faut aborder la « commande », élément central de la socianalyse. G. Lapassade et R. Lourau (1971 :199) la définissent de la manière suivante :
« L'analyse de la demande, comprenant la commande officielle du staff-client (responsables de l'organisation), leur demande implicite déplacée par rapport à la commande, ou cachée derrière la commande, et la demande du groupe-client composé des membres et usagers de l'organisation. L'ensemble du staff-client et des groupes composant le groupe-client est le collectif sur lequel porte l'intervention. C'est le champ d'intervention, à condition d'y ajouter les déterminations de lieu et de temps de la session ou des sessions socianalytiques. »
Je me trouve dans une situation d’étudiant, qui est chercheur apprenti et ne dispose ni d’une expérience d’intervenant impliqué et réflexif, ni d’une structure de supervision, ni du temps nécessaire pour répondre à une éventuelle commande extérieure. De ce fait, je me suis passé la commande. Car depuis des années de vie professionnelle dans la même structure j’estime être confronté à ce que j’appelle des « dysfonctionnements institutionnels » qui ne me permettent pas de travailler aux mieux des intérêt du patient tels qu’ils sont définis par l’encadrement, la charte du patient et déontologie professionnelle.
4. Présentation de mes deux corpora
Au niveau du Master 1 en Sciences de l'Education, mention Education, formation et intervention sociale (EFIS), j’ai fait la distinction entre un journal d’investigation et un journal de bord dont je présente les caractéristiques par la suite.
Karen Illiade (2009 : 539 et sq.) distingue quatre formes de journaux :
• les journaux centrés sur la personne,
• les journaux se donnant un objet extérieur,
• les journaux pédagogiques,
• les journaux d’enquête,
• les journaux explorant le méta-journal.
Mon journal de bord « au fils de mes nuits » relève de la catégorie des journaux se donnant un objet extérieur. Mon journal d’investigation fait partie des journaux d’enquête.
4.1 Journal de bord
Certes, le journal de bord trouve ses origines dans la navigation. Mais je ne suis pas la définition de Kareen Illiade (2009 : 491) lorsqu’elle écrit que la fonction principale de cet outil est le produit d’une commande d’un tiers afin de retracer un parcours, une suite d’événements, etc. ayant pour objectif d’un contrôle « bureaucratique ». J’appellerai ce type d’écrit plutôt « carnet de bord ».
J’entends par un « journal de bord » le fait raconter, de narrer de façon linéaire et chronologique une sélection de faits et d’actes survenus dans un domaine professionnel ou privé précis. Il ne s’agit pas d’un écrit « objectivé ». Il relate les faits et actes sur le vif, tels que l’auteur les a vécus, sans une très grande distanciation, mais de façon détaillée sur le plan factuel et émotionnel. Il s’agit d’une écriture impliquée ; l’auteur donne une part de lui-même. Grâce à cette implication, le lecteur peut s’immerger facilement dans la réalité telle que le narrateur l’a présentée.
Dans mon cas, je note le matin en rentrant du travail ce qui m’aura le plus marqué durant mon service de nuit qu’il s’agisse de comportement de certains malades ou de ce que j’estime être des dysfonctionnements qui n’entravent pas seulement mon travail mais pose un réel problème de prise en charge du patient.
Ci-après un exemple de narration d’un dysfonctionnement :
« Samedi 27 février 2010
13h13 derrière mon bureau
Perte d’autonomie
Il me semble important, de relater ici l’histoire de Madame B. il s’agit d’une femme de plus de 80 ans qui, avant son hospitalisation, vivait à domicile. Elle est entrée chez nous de nuit pour des problèmes respiratoires et d’œdèmes des membres inférieurs. Cette patiente est très « demandeuse ». Elle n’hésite pas à nous interpeller pour tout acte de la vie quotidienne : demandez un verre d’eau, être remonté dans le lit, allumer la lumière, etc.
Sa surcharge pondérale ne peut pas tout expliquer, dans le cadre de mon travail je désire que les patients ne perdent pas leur autonomie. En ce qui concerne Madame B., je considère que dans la mesure où cette patiente rentrera à domicile après son hospitalisation, je me dois de lui réapprendre une certaine autonomie.
La plupart de mes collègues, trouvent plus facile « de faire à la place de… » plutôt que de prendre le temps de faire réapprendre certains gestes aux patients. Ce comportement peut dénoter à mon sens de choses :
• Le manque crucial de personnel.
• Une certaine routine du quotidien.
Déontologiquement, notre rôle de soignants et d’autonomiser la personne, et surtout qu’elle ne perde pas les acquis de toute une vie. Je me pose ici la question de l’encadrement. Les cadres de santé sont-elles conscientes de ce qui se joue pour les personnes hospitalisées ? Sont-ils encore connectés à la réalité du terrain qui est le mien ? Ou sont-ils simplement préoccupés par la gestion économique dans services qu’ils sont en charge ? »
Cet extrait est, somme toute, très banal. Les faits relatés montrent comment une institution hospitalière fonctionne vis-à-vis d’un patient et qu’elle est sa rationalité propre, loin de l’être humain en sa détresse mais soucieux de sa seule rentabilité. J’ai complété ce récit par une première explication de mon vécu et les possibles causes (manque de personnel, souci de productivité, etc.). Enfin, je confronte la réalité de terrain avec le discours officiel et institutionnel qui se trouve en flagrante contradiction avec le vécu sur le terrain.
Voici un autre type de récit mettant en relief le comportement envers l’autre :
« Samedi 15 mai 2010
[…]
Monsieur B exogènose, une relation difficile : ce patient est entré chez nous, il y a environ six semaines. Son motif d’admission était chute à domicile suite à une intoxication alcoolique. De plus, il a un diabète insulinodépendant non équilibré.
Dès le départ la relation de soignant s’est avérée difficile car Mr B est agressif, refuse une partie des soins dont il doit bénéficier, nous agressent verbalement et physiquement. Il est issu d’une culture nord-africaine.
Depuis le début de son hospitalisation, il refuse que j’entre dans sa chambre afin de vérifier l’équilibration de son diabète : « Qui tu es, toi ? Tire-toi connard ! Je t’ai déjà dit de ne pas venir ! Tu me fait chier sale PD ! » Voici en partie ce à quoi je suis confronté lorsque j’entre en contact avec lui. Il est allé jusqu’à tenter de me frapper car il ne voulait pas que je fasse les soins de 4h00 du matin qui, pourtant, sont prescrits par le médecin.
D’une façon générale, Mr B. est conscient de ses actes et de ses paroles. Je me retrouve en difficulté quant à sa prise en charge quotidienne. J’estime ne pas avoir à supporter ces propos à mon encontre dans le cadre professionnel. À plusieurs reprises, j’ai tenté de passer un « contrat amoral » avec lui (« Je vous donne vos chiques si vous me laisser vous soigner. »), mais rien n’y fait.
De prime abord, je me suis dit qu’étant le seul homme de l’équipe paramédicale, cela devait lui poser problème, mais son attitude est la même vis-à-vis de mes collègues féminines. Nous en avons parlé à plusieurs reprises lors des transmissions entre équipes ; nous ne trouvons aucune solution. Régulièrement, nous consignons tout incident relatif à son comportement dans le dossier médical. À ce jour, je n’ai eu aucun retour de la part des médecins.
Le 7 mai, j’ai eu une réunion avec la cadre supérieure de santé dans le cadre de mon activité en équipe de suppléance. En fin de réunion, je lui ai donc soumis le problème posé par ce patient : dois-je à chaque incident remplir la feuille institutionnelle dédiée aux agressions verbales et physiques ? Elle me dit qu’elle devra en parler avec Mme C., la cadre du service. Je sais par avance quelle sera la réponse apportée par cette cadre. Mes collègues de jour lui ayant déjà parlé à de multiples reprises de l’attitude de Mr. B., elle a répondu « Il est gentil ! ». Cela met en exergue la non-relation qui peut exister entre certains cadres et les patients hospitalisés dans leur service : elle n’est jamais entrée dans la chambre du patient.
Je peux comprendre que cet homme soit excédé par son hospitalisation. Mais je me pose tout de même des questions quant à son réseau social et son habitus. J’ai relevé dans son dossier médical qui l’avait un frère, trois sœurs et un fils dont il n’a aucune nouvelle. Il ne nous est pas possible de contacter un membre de sa famille puisque il est en rupture relationnelle avec chacun d’entre eux.
Son devenir : ce patient doit être placé dans une institution du type maison de retraite ou services de long séjour. Etant sans ressources, l’assistance sociale est en butte à des refus de toutes les institutions qu’elle a contactées, car personne ne sait d’où viendra la prise en charge financière. Médicalement parlant, Mr B. n’a aucune raison de rester dans le service de médecine interne. Refusant les soins, ne tenant pas compte des consignes des médecins et de la diététicienne, son diabète n’est pas équilibré. Je pense qu’il ne le sera jamais.
Globalement l’équipe soignante désire que ce patient parte au plus vite car nul n’arrive à le gérer au niveau paramédical, médical et psychologique. »
Dans cet extrait, je présente un bref diagnostic posé par le médecin lors de son admission et je le complète par un constat sur le comportement du patient que j’étaye par la suite en relatant de façon détaillée ce comportement tant au niveau verbal que physique. J’exprime mon désarroi face à ce patient et cherche à le comprendre. La recherche d’une solution institutionnelle n’aboutit pas. J’ai beau tenter de comprendre ce patient, j’ai l’impression, de par le cadre institutionnel, d’être confronté à un mur où rien n’a prise.
Je trouve cette situation très significative de la prise en charge médicale des patients. A de multiples reprises, j’ai remarqué que les médecins et internes du service ne tenaient pas compte des remarques de l’équipe soignante. Ces remarques passent institutionnellement parlant par les « transmissions ciblées » écrites. Nous avons tous été formés à cette technique (ne consigner que l’essentiel, les incidents, la dégradation physique et psychique d’un patient, etc.). Cette nouvelle forme de transmission est sensée de permettre de gagner du temps, de traiter le patient au mieux. Cependant, dans le cas de Mr B. cette démarche n’a eu aucun effet : je n’ai eu aucun retour de l’entretien entre la supérieure du pôle et la cadre du service.
Se pose alors la question à savoir demander ce à quoi peuvent servir les transmissions ciblées, si ce n’est que c’est un devoir médico-légal en cas de problème grave du type décès non-expliqué, etc. Sinon, il apparaît qu’il s’agit d’une activité chronophage. (Il faut savoir que les transmissions écrites peuvent prendre plus de trente minutes sur une nuit de travail qui est de presque dix heures.)
Dans mon journal de bord « Au fil de mes nuits », je suis donc une démarche de type ethnographique en notant les faits et actes dans mon service de nuit tant au niveau du fonctionnement que de la relation soignant – patient. Je complète cette description par une explication, voir une analyse « à chaud » afin de mieux les situer dans leur contexte. C’est dans journal d’investigation que je compte approfondir, élargir et analyser mes réflexions.
4.2 Journal d’investigation
Officiellement, le journal d’investigation est défini comme suit :
« Le journal d’investigation sera centré sur la réalisation et l’écriture de la note d’investigation, où pourront être consignés : le choix du sujet et le dégagement d’un objet de recherche, les recherches bibliographiques, un état des lieux sur les recherches les plus significatives en rapport avec le sujet choisi, les lectures effectuées, l’élaboration des entretiens éventuels, le travail de “ terrain ”, l’enseignement tiré du stage, la réflexion menée sur des pratiques professionnelles, la mise au travail de sa posture professionnelle, les outils à mettre en œuvre pour un exercice professionnel, les difficultés éventuellement rencontrées, les questions de tout ordre... correspondant à la trajectoire singulière de l’étudiant et à son projet personnel. […] » (Université de Paris 8, 2008, cité d’après Kareen Illiade 2009b : 260)
Cette approche me semble être plutôt formelle. Elle ne tient pas compte des démarches méthodologiques possibles de l’auteur même ni de son regard sur son sujet d’investigation. La définition de Benyounès Bellagnech (2008 : 16) me paraît plus pertinente et plus approprié à ce que j’entreprends :
« Mon recours à la méthode régressive-progressive m’aide à ne pas m’enfermer dans le récit chronologique de ma vie et à m’interroger en permanence sur ce que je suis ici et maintenant et sur comment je suis devenu ainsi. Le journal, comme pratique quotidienne, est un outil fondamental dans cette posture, car en écrivant au jour le jour, il m’arrive souvent de revenir sur mon passé cherchant ainsi à conscientiser l’histoire de vie, d’où mon recours au journal dans le récit de vie. Par la suite, j’aborde l’histoire de ma formation en gardant présent à l’esprit la posture initiée par l’AI [Analyse institutionnelle] qui consiste à commencer par le non-savoir et qui permet d’orienter les interrogations qui permettent à leur tour de produire une connaissance sur sa propre formation. Le parcours de recherche lui aussi subit cette opération d’élucidation, qui me permet par ailleurs d’expliquer comment j’en suis venu à la recherche et comment j’ai rencontré l’AI. » (Benyounès Bellagnech 2008 : 16)
Cette démarche se veut ethnographique et socioanalytique. Elle se situe dans la tradition de l’ethnométhodologie dans la mesure où elle s’intéresse aux méthodes, aux façons de faire des individus pour accomplir des tâches de la vie quotidienne, au sein d’une communauté.
Pour caractériser mon journal d’investigation, je présente par la suite quelques extraits que je commenterai.
Voici une citation de mon journal d’investigation où je me pose la question de savoir ce qu’est être chercheur et ou je doute :
« Mercredi 9 décembre 2009, 23h09
Entre deux lectures et entre deux séances psy
Ma journée a été chargée émotionnellement, je vais transcrire ici le déroulé des choses. Je lis deux livres à la fois. Certains passages ont nourri ma réflexion psychanalytique mais aussi je me rends compte que je suis dans ma note d’investigation
Je risque d’être brouillon dans les liens que je fais, mais je pense que c’est lot du chercheur, il me faudra certainement relire ce passage ultérieurement pour ordonner tout cela.
Première séance à 9h45 :
Dans un premier temps je vais restituer le contenu des séances psy du jour qui ont directement un lien, me semble t-il, avec ma recherche et le cours sur penser l’institution. Actuellement je suis dans une dynamique de reprise de mon travail d’aide-soignant à l’hôpital, mais de quel travail s’agit-il ? Je ne veux pas de celui que j’avais au standard l’an passé, je veux retourner dans un service de soins. Mon rôle en service de soins et de prendre en charge l’autre, prendre soin de lui, mais aussi de moi. Souvent nous sommes vu comme des professionnels qui font abstraction de qui nous sommes, c’est faux. Je me suis rendu compte après coup, que l’autre était aussi à mon écoute. Ma posture de soignant n’est pas simple, elle m’oblige à me remettre en question. Je ne pense pas, mais je peux me tromper, être dans la toute puissance, toute puissance conférée par ma blouse blanche. Je ne suis pas dans la posture de celui qui sait et désire imposer à l’autre (le patient) son savoir son expérience
Dans ma démarche professionnelle j’ai toujours tenté de comprendre, d’analyser une situation pour y répondre au plus prés, prés du patient et non de la demande (commande institutionnelle. C’est là que je suis en difficulté, je suis conscient que j’ai toujours été en révolte institutionnelle, car je ne peux appliquer une consigne sans comprendre le sens. L’institution ne veut que des exécutants, pas des « cerveaux ». Grace à PARIS 8, je pense commencer à avoir des outils, afin d’expliquer à mes supérieurs les raisons de mon positionnement, mais cette posture ne sera pas tenable très longtemps.
A la fin de la première séance à 9h45, je termine en faisant le lien entre institution familiale et professionnelle. En résumé mon propos a été de dire qu’aucune de ces institutions ne m’a amenée à l’autonomie, mais elles ont été un vecteur d’aliénation.
Deuxième séance à 15h15 :
Lorsque j’ai quitté le psy à la fin de ma première il m’assène « c’est ça chercher, être chercheur ». J’avais terminé ma séance en me demandant si j’avais ma place en école de travailleur social au vu de ma posture. Entre les deux séances j’ai réfléchi, « merde et dire que je me demande ce qu’est être chercheur depuis des semaines, et vlan il me sort ça. ».
Je commence cette séance là ou j’ai terminé l’autre, l’aliénation institutionnelle. Quels dangers pour elles que je puisse réfléchir sur une situation donnée ? Je me suis retrouvé très tôt dans un sillon tracé pour moi : « tu vas là et pas ailleurs ! », diantre que j’aime les chemins de traverse, aller ou nul ne m’attend. C’est ma révolte, cette révolte s’est traduit par la reprise d’études à PARIS 8, initialement je cherchais une formation diplômante (c’est ce que je me suis dit l’an passé), aujourd’hui je pense pouvoir dire que je suis dans la reconnaisse sociale avec ce cursus (que c’est dur de me l’avouer). Merde je rentre dans le schème comme les autres.
Ma révolte a été nourrie par la famille, vouloir ressembler à mes frères et répondre (inconsciemment) aux attentes de mes parents. Suis-je entrain de rentrer dans le moule ? Je ne le pense pas car je suis constitué d’expériences passées : familiales, de travails, de tâtonnements. C’est bien que je change sur le fond, mais ce changement me bouleverse, fait vaciller mes certitudes (celle d’être un cancre).
Là je fais le lien entre ce que me disent Julie et Maïa: « tu doutes trop », le doute est constitutif de ma personne, j’ai douté de ma place dans la famille, à l’école et au travail. Cela doit changer (je ne me justifie pas, je constate). Bon je m’arrête là pour ce soir. »
Depuis le début de ma reprise d’étude l’an passé, j’ai mis en place deux lieus distincts (mon journal et la psychanalyse) qui se nourrissent l’un avec l’autre. Qu’il s’agisse de questions liées au Master (comme : quel sujet d’investigation étudier ? comment le faire méthodologiquement ?…), je peux trouver des ébauches de réponse dans ces deux lieux. Je pense que pour l’instant je ne puis me séparer d’aucun des deux. Dans cet extrait, exemple je m’interroge sur le rôle du chercheur. Cette réflexion m’a aidé à trouver une nouvelle posture, celle de « l’apprentis chercheur » qui se caractérise par son tâtonnement expérimental (pour ne pas reprendre une terminologie chère à Célestin Freinet), mais également par un doute parfois exacerbé et une forte implication en tant qu’observateur participant. Dans mon mémoire de Master 2, je devrai approfondir davantage cette posture pour mieux cerner le travail sur le terrain, l’observation, l’enquête, le recueil des données, le développement d’une méthodologie propre à l’objet d’étude, l’analyse et l’interprétation des données, etc. Mais rappelons les propos de René Lourau que cite Benyounès Bellagnech (2008 :165) :
« Ce qui importe pour le chercheur, ce n’est pas essentiellement l’objet qu’il ‘se donne’, mais ce qui lui est donné par sa place dans les rapports sociaux, dans le réseau institutionnel. »
Dans ce deuxième extrait je commence à penser au dispositif de travail à mettre en place afin de pouvoir poursuivre en Master 2.
« Samedi 29 mai 2010 4h58 sans arriver à dormir
Note d’investigation et temps de travail institutionnel
Voilà je m’attelle à ma note aujourd’hui avec le fol espoir de pourvoir la terminer durant le week-end. Pour ce faire je vais me servir des journaux des deux semestres et de mon journal de bord. Je me suis décidé à demander à ma cadre à passer à 80% de temps de travail, sinon je ne vois pas comment pouvoir travailler avec efficience l’an prochain. Pour l’instant elle étudie ma demande. Ce temps partiel couvrirait l’année universitaire de début septembre 2010 à début octobre 2011. Le travail que j’effectue de nuit est assez dur physiquement et moralement, il me fallait trouver une solution pour allier les deux (travail et études). Cette solution me semble bien, mais il faudra voir cela en l’éprouvant.
Je ne puis pas dire que je me sois totalement épanoui au sein du master cette année, et je redoute l’année à venir. Peut être me faut faut-il avoir un but professionnel afin de mettre en adéquation formations formelles et informelles. A ce moment précis rien ne se dégage quant à mon avenir, faut il aller au delà du master pour envisager quoi ce soit ? Mais je ne pers pas de vue que j’ai 47 ans, et à mon âge une reconversion est difficile. La réforme des retraites avance à grand pas, je travaille depuis l’âge de 18 ans, il est un fait acquis qu’à partir de 50 ans les entreprises et les administrations ne recrutent pas des diplômés de mon âge. Alors que me reste t-il ? Une culture et du savoir, certes. Mais mon idéal aurait été de les mettre au service des autres dans un cadre professionnel, c’est peut-être un deuil que je vais devoir faire bien malgré moi.
Le côté positif est que j’ai acquis une certaine réflexivité sur mon métier d’aide-soignant, que je souhaite faire bouger les choses en termes de pratiques professionnelles. Je n’ai plus les illusions de mes 20 ans, il me faut faire avec ce qui m’est offert sur le terrain, m’adapter à de nouvelles règles de gouvernance et ne pas perdre de vue que la santé est bel et bien devenue un bien marchand (même si cela ne me conviens pas). »
Paradoxalement ma vie se partage entre deux institutions : l’une plus ou moins autogérée (Paris 8) l’autre aliénante (l’hôpital). Cet extrait montre mon « déchirement » en tant qu’apprenti-chercheur entre deux institutions diamétralement opposées quant à leur fonctionnement.
C’est également le dilem propre à une formation tout au long de la vie. Il s’agit de ma prise de conscience et de la réflexivité sur mes pratiques quant à ma posture face à la formation formelle et informelle, s’apparentant dans un premier temps à celles d’un autodidacte :
« une certaine manière de se former, de façon informelle, seul, en groupe ou en réseau, en dehors des institutions éducatives. Une manière de se former aussi bien à travers les ressources de l'expérience et de l’action, que dans le recours à des savoirs déjà constitués. » (Hélène Bézille-Lesquoy 2003 :7)
5. Etat de la recherche quant à mon questionnement
Je vais présenter dans ces chapitres les ouvrages en rapport avec mon sujet de recherche.
5.1 « Quand les soignants témoignent. Du droit individuel à « l’oubli » au devoir collectif de mémoire » (Philippe Gaurier 2009)
L’auteur Philippe Gaurier est infirmier depuis plus de trente ans, aujourd’hui cadre supérieur de santé à l’hôpital. Il est élu au Conseil régional de l’Ordre des infirmiers. Il propose cet ouvrage pour libérer la parole des soignants du poids trop longtemps laisser sans voix. Il s’inscrit dans la mémoire collective des soignants afin de mieux nous faire connaître. Cette parole est aussi une porte qui s’ouvre sur la société pour une reconnaissance du métier d’infirmier.
Il nous propose de désenclaver une parole qui reste cantonnée au sein des murs de l’institution hospitalière. Il se pose la question comment passer de la mémoire individuelle à la mémoire collective. Il le fait par le biais de l’écriture et plus particulièrement par le témoignage d’autres infirmiers en les interviewant.
Témoignage d’Anika (37-43) ou « Ai-je le droit de pleurer devant la mort d’un enfant ? » Anika est élève infirmière de deuxième année, elle à fait le choix d’effectuer un stage dans un service d’oncologie pédiatrique. Dès son premier jour de stage, elle est encadrée par une infirmière et une aide-soignante. Elle se rend compte très vite que la pédiatrie est un service très lourd. Elle a en charge deux enfants dont une petite fille qui en fin vie. Elle se demande commet réagir. A-t-elle le droit de se laisser aller à ses émotions ? Après tout elle est une future professionnelle :
« Et la je me sens mal. Je me sens mal à l’aise. J’ai les mains moites. Je ne me sens vraiment pas bien et je me dis : « Mais pourquoi est-ce que j’ai choisi ce stage ? Mais ça ne va pas la tête ! Mais tu es folle, rentre chez toi demande à changer de service… » C’est l’ambiance ! Un truc physique. Un poids sur les épaules. » (Philippe Gaurier 2009 :37)
Elle n’en a rien fait, elle restée dans le service tout en prenant en charge les enfants. Elle a été confrontée à des questions d’enfants :
« ‘Mais Anika, est ce qui si Dieu existait, il ferait des enfants malade?’ C’est une question a laquelle je n’ai pas appris à répondre. » (Philippe Gaurier 2009 :40)
Lors du décès de cette petite fille Koura, Anika craque pleure. Ce sont les parents de l’enfant qui la soutienne en lui disant qu’ils étaient préparés à cette éventualité, mais pas Anika. Elle se demande dans quelle mesure elle a le droit d’exprimer ma douleur, de pleurer.
Dans cet ouvrage je retrouve des situations auxquelles j’ai été moi même confronté, des questions que me suis posé. Mais à aucun moment, l’institution ne m’a aidé à y répondre, ne m’a tendu la main ou offert un lieu où en parler, parler de souffrance de soignant, de mes doutes.
Les limites de cette publication sont évidentes : l’auteur donne la parole à un type de métier de soignant : l’infirmier. Ses tâches, fonctions, rôles et devoirs lui sont propres. L’autre métier en contact étroit avec le patient, mais avec des tâches et une proximité différentes n’est pas abordé.
D’un point de vue méthodologique, l’auteur est à la fois intervieweur et narrateur des situations qu’il étudie. Il n’entre pas dans la biographie des acteurs – pour éventuellement tracer leur cheminement, élucider leurs motivations – mais reste au niveau plutôt anecdotique de type « tranches de vie ». On lit les récits, parfois dramatiques, au travers de son regard qu’il dit « distancié ». Il se pose néanmoins la question de quel type de distance il s’agit, et quel est l’objectif de cette distance. Pourquoi ce refus d’implication directe ? Est-ce sa fonction de cadre de santé qui biaise éventuellement sa vision ? Certes, l’auteur donne la parole aux infirmiers, mais malgré sa distanciation, il ne nous propose pas d’outil d’analyse des situations.
5.2 « Une ethnologue à l’hôpital. L’ambigüité du quotidien infirmier » (Anne Vega 2000)
Anne Vega est spécialisée en anthropologie de la maladie, elle est chargée de cours à l’université et enseigne auprès des personnels soignant.
Durant ses études, elle a travaillée comme agent des services hospitalier pour financer une partie de ses études. Elle passe de la buanderie au secteur de soins durant les plusieurs étés où elle à travaillé à l’Assistance Publique Hôpitaux de Paris (AP-HP).
Elle propose dans son ouvrage une « étude ethnographique » dans un service où elle a travaillée. Cette étude se passe sur une semaine. Elle y relate les relation au sein de l’équipe soignante, les tentions liés au manque de personnel, la place prépondérante de la cadre dans mangement. Je mettrai en exergue un passage de son livre qui m’a fortement interpellé dans la mesure ou j’ai été confronté à la même situation :
L’auteur parle de Mme V. décrite comme :
« Mme V., ou plutôt Tati Danielle, était devenue, en l’espace d’un mois, l’ennemi numéro un de tout le personnel. Reléguée dans une chambre, seule au fond de la salle, elle avait acquis la solide réputation d’être particulièrement méchante et asociale. » (Anne Vega 2000 :9)
Derrière ce caractère se cachait, comme le dit Anne Vega, tout simplement le désir de Mme V. d’être reconnue tout simplement comme un être humain et non comme une pathologie. Mme V. est décédée 24h après avoir été reconnue pour qui elle était.
Cette épisode paraît à première vue anecdotique. Elle est cependant révélateur – on pourrait dire qu’il s’agit ici d’un analyseur – des difficultés relationnelles entre soignants et entre patients et soignants. D’autres analyseurs des conditions de travail et des soins sont présentés par l’auteur : Une telle infirmière désire travailler dans un secteur du service qu’elle estime être le sien, mais qu’une autre collègue à prit en charge. Les retards s’accumulent à la prise de poste le matin car le personnel est fatigué et ne se réveille pas toujours à l’heure… Cela crée des tentions que la cadre n’arrive pas toujours à désamorcer. – Une autre infirmière pointe du doigt que son travail est de plus en plus administratif, elle ne passe pas autant de temps auprès du malade que ce qu’elle souhaiterait. Elle passe du statut de technicienne à celui d’administratif. D’une façon générale le personnel dit être épuisé et de ne plus arriver à assumer le rôle pour lequel il a été formé. L’équipe soignante constate que le « métier change » mais pas pour le mieux.
Anne Vega relate à la fois son vécu personnel et ce qu’elle observe et apprend de l’équipe soignante. Elle dit tirer sa légitimité par le fait d’avoir des années antérieures à cet hôpital. Mais à l’époque, les tâches auxquelles elle était affectée étaient tout autres que celle observe aujourd’hui. Sa posture a changé : elle est passé d’agent des services hospitaliers (ASH) à l’ethnologue observateur. Elle « amalgame » donc son expérience personnelle antérieure (par exemple le cas de Mme V.) avec ses observations actuelles. D’un point de vue méthodologique, il me paraît délicat de confondre ses deux postures pour ériger sa parole en témoignage d’ethnologue. En tant qu’ASH, elle était impliqué ne serait-ce que par sa proximité avec les patients. Actuellement, elle se trouve dans ce qu’on pourrait nommer l’observation non-participante, propre à une démarche ethnographique. On peut apprécier dans son récit qu’elle évite des analyses hâtives qui expliqueraient ses observations et son vécu. De par son écrit, elle pointe seulement les dérives du système de santé. Néanmoins, je ne dirais pas qu’il s’agisse d’une écriture impliquée.
5.3 « Infirmières le savoir de la nuit » (Anne Perraut Soliveres 2001)
Anne Perraut Soliveres est infirmière de nuit, elle présente dans son ouvrage son travail de thèse basé sur son expérience professionnelle. Pour se faire, elle à effectué une enquête et des entretiens durant sept ans. Son but déclaré est de redonner sa place à l’infirmière de nuit dans structure de soins.
Extrait de la quatrième de couverture :
« La nuit est ce moment où les normes, les structures, les rites, le temps même semblent disparaître, et laisse place à la sensation que tout peut arriver : la mort qui rôde et qui ne se décide pas, ou qui se trompe de parfois de malade. » (Anne Perraut Soliveres 2001)
A travers son enquête, l’auteur met en exergue la violence et la détresse des soignants et des patients. La nuit est moment particulier où chacun est face à lui même. Comment répondre à une agression verbale d’un patient sans dépasser les limites données par l’institution ? Comment gérer la détresse et les angoisses (nocturnes) des patients, etc ? Anne Perraut Soliveres démontre qu’à bout de force, le personnel peut lui aussi s’autoriser à dire ce qu’il pense et même dire « non » à une demande. Je prends ici l’exemple d’un toxicomane qui désire avoir une injection et des médicaments afin de répondre à son état de manque :
« Alors que l’expression de la souffrance de l’autre est base même de la « commande » de notre intervention, il apparaît clairement qu’elle ne peut être prise en compte en dehors du cadre particulier de l’institution, sans un statut officiel. Le garçon qui aurait été reçu tout à fait autrement s’il s’était présenté aux urgences, demandant à voir un médecin. C’est transgression de cette règle qui a été sanctionnée par le rejet inconditionnel des soignants, aggravée par la forme agressive de la demande. Cette « agression » restera d’ailleurs la seule « excuse » derrière laquelle les soignants se retrancheront. » (Anne Perraut Soliveres 2001 : 158)
L’auteur souligne aussi que la nuit est un moment où l’intimité du patient est mise à nu. Il est plus difficile de travailler en technique par manque de personnel. De ce fait, l’image du corps perçue par le soignant et tout autre que s’il travaillait de jour.
« Le malade n’est plus un homme libre. Rares sont les soignants qui frappent à la porte avant d’entrer dans une chambre, encore plus rare sont ceux qui attendent qu’on les y invite à entrer. L’intimité est réduite à sa plus simple expression parce que étant violée quasi systématiquement par les soignants dans l’exercice de la plus part des soins, ils ont fini par l’occulté. » (Anne Perraut Soliveres 2001 : 163)
Lorsque de tels sujets sont abordés dans les équipe, la réponse, dit Anne Perraut Soliveres, est inéluctablement la même : ce n’est pas la préoccupation première. L’auteur montre également que les soignants estiment que les médecins ne respectent cette intimité lors des visites quotidienne au chevet du malade.
La démarche méthodologique d’Anne Perraut Soliveres n’est pas la socianalyse d’un service mais plutôt un travail de régulation : en interviewant les acteurs de soins de façon individuelle et collective, elle permets de libérer leur parole qui, souvent, est tue et considérée comme honteuse. Parfois, elle arrive à mettre à nue la bienséance et une certaine bienveillance qui sont dévolues aux métiers du soin.
Dans le livre d’Anne Perraut Soliveres, elle-même infirmière de nuit, on rencontre une écriture réellement impliquée. Elle lève certains tabous liés, par exemple, à la sexualité et à la représentation du corps. Elle ose dire que le soin n’est pas asexué. De telles réflexions ne se retrouvent pas dans les autres publications.
5.4 « Code des salles de soins 2e édition. Recueil des textes usuels à la pratique des soins choisis et commentés » (Gilles Devers 2007)
Gilles Devers est docteur en droit, avocat au barreau de Lyon depuis 1985. Il occupe un poste de chargé d’enseignement à la faculté Jean Moulin (IFROSS) et a été infirmier hospitalier durant sept ans.
L’auteur offre un ouvrage très technique à la pointe du droit hospitalier. Il y répertorie des texte législatif pour des personnels ayant un niveau d’étude de licence ou plus : médecin, sage-femme, pharmacien, infirmier, masseur-kinésithérapeute, pédicure podologue, ergothérapeute, psychomotricien, orthophoniste, orthoptiste, etc. Il oublie généreusement le métier d’aide-soignant…
Il revient également sur les droits du patient qui sont énoncées dans la « charte du patient », affichée – normalement – dans tout les services de soins et remise dans le livret d’accueil à l’arrivé du patient.
Par ailleurs, de quel droit parle t-il ? C’est un ouvrage généraliste dans lequel je ne me suis pas retrouvé. A aucun moment il ne parle du rôle et attribution de l’aide soignant. Pour l’avoir consulté sur mon lieu de travail alors que je cherchais, par exemple, des réponses sur l’usage des morphiniques, je n’y ai rien trouvé. Je suppose qu’un tel ouvrage est plus destiné au personnel d’encadrement et à la direction des soins infirmiers.
La lecture de cet ouvrage se fait au fur est mesure qu’une question pointue se pose, mais dans le cas d’un aide-soignant cela ne revêt que peu d’intérêt.
5.5 Les lacunes des publications présentées
Pour conclure ce chapitre je souhaite pointer le fait que je n’ai pas trouvé d’ouvrages écrits pour et par des aides-soignants. Ce métier semble être méconnu. Un constat s’impose : souvent ce sont des infirmières qui travaillent autour du sujet des soins, de la prise en charge du patient, de la souffrance au travail, du rôle du soignant. Est-ce à dire que l’aide-soignant n’a rien à dire ? Je ne le pense pas. Peut être est-ce bien là un problème de reconnaissance, reconnaissance intellectuelle et sociale.
L’infirmier a fait trois ans d’études post-bac et possède un diplôme d’état. L’aide-soignant, quant à lui, a une formation de 12 mois débouchant depuis peu (2009) sur un diplôme d’état mais de niveau CAP ; auparavant il s’agissait d’un Certificat d’Aptitude aux Fonctions d’Aide-Soignant (C.A.F.A.S).
D’un point de vue méthodologique, la plupart des auteurs (à part Gilles Devers) se sont focalisés sur le vécu et le point de vue des soignants. Ils ont, me semble-t-il, parfois perdu de vue le point central de leur métier, qui est le patient. Bien que certains auteurs aient une écriture impliquée, le lecteur n’arrive pas toujours à déterminer à partir de quelle posture parle l’auteur. Est-il acteur de soins, observateur (participant ou non participant), analyseur… ? Cela rend la lecture parfois confuse et n’aide pas à une meilleure compréhension du métier de soignant et du fonctionnement de l’institution hospitalière.
En dernier lieu, je peux remarquer que dans la plupart de ces ouvrages, l’insitution et son impact sur les soins et sur le patient ne sont que très peu analysées. C’est en cela que mon travail se différenciera de ces publications.
6. Projet d’analyse du corpus « Journal de bord »
Pour mieux analyser mes corpora, j’aurai recours s à la théorie des moments développée par Henri Lefebvre (2009) et R. Hess (2009). Je la développerai plus en avant dans mon mémoire de Master 2 Ici, je me limiterai à ne citer qu’un extrait de H. Lefebvre (2009 : 226) afin de la situer globalement :
« Ces ‚moments’ devaient donc à mon avis se considérer comme essentiels ou substantiels, bien que non définissables sur le modèle classique de la substantialité (de l'être). Ils ne me paraissaient ni des accidents ni des opérations de l'intériorité (subjective) mais des modes de communication spécifiques, communicables et communiquants, si je puis dire : des modalités de la présence. (Je n'aurais pas dit des catégories de l'existence ou des « existentiaux ». Je n'employais pas ce vocabulaire ; et cependant il s'agissait un peu de cela, chaque « moment » à mon sens n'ayant pas à se légitimer et à s'authentifier et ne se fondant comme moment que sur soi, sur son existence, fait et valeur coïncidant). Ainsi le moment de la contemplation, le moment de la lutte, le moment de l'amour, le moment du jeu ou celui du repos, celui de la poésie ou de l'art, etc. Chacun d'eux ayant une ou des propriétés essentielles et notamment celle-ci, que la conscience pourrait s'y engager, y rester prisonnière d'une « substantialité » absolue, l'acte libre se définissant alors par la capacité de se déprendre, de changer de « moment » dans une métamorphose, et peut-être d'en créer. Ainsi, le moment de l'amour ou bien celui du jeu pouvant saisir la conscience, l'enferme dans une totalité partielle mais pour elle saisissante dès qu'elle se laisse prendre ou se veut prise. Pourtant aucun de ces moments, aucune de ces puissances de la subjectivité ne saurait se clore complètement. Totalités partielles, je les voyais tous comme des « points de vue » reflétant la totalité. »
Les auteurs distinguent les « moments » des « instants » : ces derniers sont plutôt hasardeux, éphémères et aléatoires ; la situation, elle, est davantage construite. En revanche,
« […] les moments se définissent comme des « modalités de présence » (H. Lefebvre). Ils ne se réduisent pas à leur dimension existentielle, à une représentation ou au simple reflet d’un événement. Le moment condense le social, l’incarne. Il le saisit dans sa totalité, mais n’en est pourtant qu’une réalité partielle. L’ordre logique du moment ne suit pas forcément l’ordre chronologique. » (Thomsen Walburg [alias Gérald Schlemminger] 2010 : 3)
Ici n’est pas la place de procéder à une analyse détaillée de mes corpora, plus particulièrement le « journal de bord » (qui, d’ailleurs va encore évoluer au fur à mesure de mon activité professionnelle). Je vais esquisser ici les grandes lignes de mon analyse que je traiterai plus en avant dans mon mémoire de Master 2.
Partant d’autres socianalyses – telles que celles de Christiane Gilon / Patrice Ville (1990), Remi Hess (1998), Benyounès Bellagnech (2008) – je développerai, au niveau méthodologique, le concept de l’analyseur et je le rapprocherai de celui des « moments » d’ Henri Lefebvre.
Je pars de la supposition que je rencontre des moments, éléments de vie substantiels qui, dans mon institution, ont également la fonction d’analyseur. Je vais l’illustrer par le moment de la mort.
« Jeudi 4 mars 2010
Et pendant ce temps, la mort rôde
Dimanche soir lorsque l’infirmière et moi-même sommes arrivé dans le service nous avons appris que Mr A s’était dégradé. Il s’agit de sa 17e hospitalisations au sein du service. Il ne fait aucun doute que ce patient est en fin de vie. À ma grande surprise vendredi soir, je me rends compte qu’il n’est toujours pas sous morphine en seringue électrique. De concert, l’équipe s’accorde sur le fait que Mr A. souffre lors des mobilisations liées aux soins d’hygiène. À ce moment m’est venu une image : « la femme accouche dans la douleur, la mort se passe dans la douleur aussi » ; je me dis que dans les deux extrémités de la vie la douleur est présente. Cela n’est pas acceptable, depuis plus de 15 ans, les ministres de la santé qui se sont succédés se sont accordés à dire que l’hôpital avait les moyens de lutter contre cet état de fait.
[…] À 3h46 Mr A est décédé. Dans un premier temps, je pensais ne pas être affecté par la mort de ce patient. Après avoir réfléchi et parler avec [mon amie] Maïa et mon psychanalyste, je me rends compte que je suis plus touché que ce que j’ai bien voulu en dire. Ce n’est pas tant le décès de Mr A. que les conditions dans lesquelles cela s’est passé qui m’a affecté. J’interroge ici ce que peut représenter la mort dans un service de soins. Il me semble que pour un médecin, cela peut être vécu comme un échec thérapeutique (puisque son rôle est de soigner, voir guérir), pour l’équipe soignante (infirmière, aide-soignant, ASH) cela peut signifier la fin d’un accompagnement et d’une relation qui a pu duré un certain nombre de mois voire d’années avec le patient. En outre, cela m’oblige à travailler sur le processus de deuil auquel je peux être confronté tant dans la sphère privée que professionnelle. Un tel travail ne peut pas se réaliser institutionnellement puisque l’hôpital ne met pas de psychologue à notre disposition. J’ai donc fait le choix, depuis quelques années, de mettre en place un lieu de parole où je puis m’interroger sur mes pratiques professionnelles, sur celle de l’institution et de l’incidence que cela peut avoir dans ma vie au quotidien. »
Dans cet événement, l’analyseur est la mort. Il interroge sur la vie, il dérange, il met en question les routines de soins. On doit même le cacher, si cela est possible, face aux autres patients. On fait tout pour échapper ainsi au sentiment du néant.
En principe, selon les textes officiels, les médicaments tels que la morphine et ses dérivés sont au centre de la prise en charge de la fin de vie. La sédation palliative est prévue comme une solution de dernier recours dans les cas de patients dont les symptômes sont ingérables. Or, si ce nouveau savoir clinique pourrait jouer un rôle intégrateur, les médicaments palliatifs sont l’objet de grandes réticences tant de la part de certains médecins prescripteurs que de certains membre de l’équipe soignante.
L’analyseur met, ici, en exergue l’angoisse des soignants devant la mort, leur propre mort. Il pointe également l’absence d’un lieu de parole où la peur peut s’exprimer. Je m’interroge sur la prise en charge de patients en fin de vie, quelle en est la représentation.
Il est symptomatique que la morphine ne soit pas donné lorsque le moment de mort approche et que le patient souffre. Nous sommes perpétuellement en manque de morphinique dans l’armoire à pharmacie dans notre service, non pas que le besoin ne s’en fasse pas ressentir, mais on peut presque supposer que c’est une politique délibérée dans mon institution. La morphine dérange tout comme la mort. Je pense pouvoir dire qu’ici la morphine est déclencheur de cette situation.
À l’hôpital, la mort est un moment constitutif de l’institution. Il est une rupture dans l'apparente continuité de la conscience et s’oppose, en apparence, à la vocation de l’institution qui est celle de guérir et de réparer. En effet, il s‘agit d’un modes de « communication » spécifique et définitif : l’annonce du néant.

Cette esquisse d’investigation s’arrête sur une note peu optimiste. Je m’engage à développer ce moment mais également d’autres dans mon mémoire de Master 2.

Bibliographie
Authier, Michel / Hess, Remi (1981) : L’analyse institutionnelle. Paris, P.U.F., coll. Que sais-je ?
Bézille-Lesquoy Hélène (2003) : L’autodidacte, entre pratique et représentations sociales. Paris : éd. L’Harmattan, collection éducation et sociétés.
Bellagnech, Benyounès (2008): Dialectique et pédagogie du possible. Métanalyse. Tome 1 : L’entrée dans la recherche par la biographie. Tome 2 : Expérience instituante de la pédagogie du possible à Paris 8 : l’articulation entre la théorie et la pratique. Paris : Université de Paris 8. Thèse d’université.
Devers, Gilles (2007) : Code des salles de soins 2e édition. Recueil des textes usuels à la pratique des soins choisis et commentés. Rueil-Malmaison : Editions Lamarre.
Gaurier, Philippe (2009) : Quand les soignants témoignent. Du droit individuel à « l’oubli » au devoir collectif de mémoire. Paris : Masson.
Gilon, Christiane / Ville, Patrice (1990) : Les espions. Ouvrage non publié.
Hesbeen, Walter (s. l. dir. d.) (2009) : Dire et écrire la pratique soignante du quotidien. Paris : Editions Seli arslan.
Hess, Remi (1975) : La socianalyse. Paris : Psychothèque.
Hess, Remi (1981) : Le temps des médiateurs. « Le socianalyste dans le travail social ». Paris : Anthropos.
Hess, Remi (1998) : La pratique du journal. L’enquête au quotidien. Paris :Anthropos.
Hess, Remi / Weigand, Gabriele (2006) : L’observation participante. Paris : Economia.
Illiade, Kareen (2009a) : « Le journal de lecture dans l’enseignement à distance. » in : Cultures et Sociétés n°12, oct. 2009, Téraèdre, pp. 45-50.
Illiade, Kareen (2009b) : Le journal pédagogique, une éducation tout au long de la vie. L’université qui change. Paris : Université de Paris 8. Thèse d’université.
Kohn, Ruth Canter (1998) : Les enjeux de l’observation. Paris : Economia.
Lapassade, Georges, Lourau, René (1971) : Clés pour la sociologie,. Paris : Seghers.
Perraut Soliveres, Anne (2001) : Infirmières le savoir de la nuit. Paris : PUF.
Université de Paris 8 (2008) : Maquette de master « Education, formation et intervention sociale ». Paris.
Verrier, Christian (2010) : « Autodidaxies et formations au métier d’enseignant-chercheur » . Conférence du 16 février 2010 à l’Université de Paris 8. En ligne : Plateforme IED.
Vega, Anne (2000) : Une ethnologue à l’hôpital. L’ambigüité du quotidien infirmier. Paris : éditions des archives contemporaines.
Walburg, Thomsen [alias Gérald Schlemminger] (2010) : « Se séparer pour devenir autonome ? Récit de vie de Renaud G. » En attente de publication in : Synergies des pays germanophones n° 3/2010.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Bonjour,
Pourrait-on savoir ce qu'a donne la soutenance de cette note d'investigation, la note obtenue ?
Merci.