Dimanche 14 novembre 2010
15h52 dans mon bureau
La théorie des moments
Je reproduis ici un texte d’Henri Lefèbvre sur la théorie des moments afin de m’interroger de sa place dans les cours de Rémi : le journal de recherche, la théorie de l’expérience et penser l’institution.
Le temps et sa profondeur, me semblait-il alors[1], ne s'épuisent pas avec les concepts d'évolution, de développement, de dissolution, de révolution, de croissance ou de perte et d'éloignement par rapport à l'originel. Le temps et la temporalité comportaient à mon avis aussi l'involution. C'est-à-dire que la durée, loin de se définir seulement comme linéaire ou comme coupée par des discontinuités, s'infléchit aussi comme une ligne en volutes ou spirales, comme un courant en tourbillons et remous (métaphores n'ayant qu'une vérité approximative). Il se formerait donc à l'intérieur de chaque conscience individuelle ou sociale des durées intérieures à elles-mêmes pendant un certain laps de temps, se maintenant sans pour cela s'immobiliser ou se mettre hors du temps: les moments. Je ne prenais donc pas ce mot dans le sens hégélien, emprunté à la mécanique, (le « moment d'inertie ", etc.) et transporté dans l'histoire ascendante de la conscience, les moments désignant les étapes dans cette histoire, les « figures », les articulations et passages de l'inférieur au supérieur. Je ne le prenais pas non plus dans le sens courant ou simplement psychologique ; un « moment » peut s'étendre dans le temps ou se condenser ; surtout il peut se retrouver, se répéter. Ainsi la vie de la conscience et de l'être conscient reproduisait dans cette théorie le grand mouvement cosmique qui crée des êtres distincts et les reproduit en les emportant dans son immense devenir.
Ces « moments » devaient donc à mon avis se considérer comme essentiels ou substantiels, bien que non définissables sur le modèle classique de la substantialité (de l'être). Ils ne me paraissaient ni des accidents ni des opérations de l'intériorité (subjective) mais des modes de communication spécifiques, communicables et communiquants, si je puis dire : des modalités de la présence. (Je n'aurais pas dit des catégories de l'existence ou des « existentiaux ». Je n'employais pas ce vocabulaire ; et cependant il s'agissait un peu de cela, chaque « moment » à mon sens n'ayant pas à se légitimer et à s'authentifier et ne se fondant comme moment que sur soi, sur son existence, fait et valeur coïncidant). Ainsi le moment de la contemplation, le moment de la lutte, le moment de l'amour, le moment du jeu ou celui du repos, celui de la poésie ou de l'art, etc. Chacun d'eux ayant une ou des propriétés essentielles et notamment celle-ci, que la conscience pourrait s'y engager, y rester prisonnière d'une « substantialité » absolue, l'acte libre se définissant alors par la capacité de se déprendre, de changer de « moment » dans une métamorphose, et peut-être d'en créer. Ainsi, le moment de l'amour ou bien celui du jeu pouvant saisir la conscience, l'enferme dans une totalité partielle mais pour elle saisissante dès qu'elle se laisse prendre ou se veut prise. Pourtant aucun de ces moments, aucune de ces puissances de la subjectivité ne saurait se clore complètement. Totalités partielles, je les voyais tous comme des « points de vue » reflétant la totalité.
Je ne croyais donc alors, en tant que philosophe, ni à un moment unique, absolu, révélateur (angoisse, joie) et point de départ d'une description de l'existence, ni à une multiplicité indéfinie d'instants, mais à cette pluralité de moments relativement privilégiés. Leur universalité concrète leur conférait un caractère « intermonadique » égal en dignité et en réalité aux consciences elles-mêmes. Ni l'extériorité pure et simple (des consciences, ou des êtres), ni l'intériorité pure ne suffisaient dès lors à définir la présence. Je pensais donc introduire dans le devenir (ou le « flux héraclitéen »), une structure intelligible et pratique à la fois, réelle et normative à la fois, sans le tronçonner par des discontinuités absolues. La totalité se déterminait comme totalité des moments. Il s'agissait donc au fond d'une théorisation philosophique de la présence rejetant l'absolu d'une modalité unique et l'absence dans la poussière informe des instants de la durée. La conscience commune, banale, brouillait et mélangeait à mon avis les « moments » dans des compromis informes. Il me semblait d'ailleurs que ces « moments » se retrouvaient en germe dans la vie de la nature, des plantes, des animaux – qu'ils explicitaient seulement des différences au sein de la nature cosmique – que par conséquent leur « restitution » et leur « description humaine » ne se séparaient pas d'une certaine vision de la nature. Dans l'éclat multiple, dans le bouquet des « moments » aux mains de la grâce et de la force humaines, venait pour moi s'épanouir la nature, en laquelle je reconnaissais le jeu, le labeur, la lutte, l'amour, le repos. La nature, je n'ai jamais pu la séparer de la culture et de l'humain.
[…] Je me demande aujourd'hui si cette théorie des moments ne pourrait pas se reprendre, dans une investigation sur ces plans délaissés, pour lesquels nous n'avons pas de bons instruments de recherche: l'esthétique, l'éthique. (H. Lefebvre, 2009 : 226-229.)
Je pense que cette théorie peut s’appliquer dans le domaine de santé. Mais en ce moment je suis plus dans la construction de mes propres moments :
· Moment du travail institutionnel (travail de nuit).
· Moment universitaire qui se découpe :
- Moment de recherche.
- Moment de l’école doctorale.
- Moment de séminaires.
- Moment de rencontre avec Rémi une fois par mois (à déterminer)
· Moment de plaisir : Opéra.
· Moment de publications puisque je suis sur le projet de coordonner la revue Les irrAIductibles.
Tous ces moments réuni donne une unicité à ma vie, il me semble que Rémi parle dans ce cas de dissociation (il me faut le vérifier).
[1] H. Lefebvre parle, dans son autobiographie, au passé car il „soupçonnait“ la „théorie des moments“ comme étant en opposition avec la théorie marxiste. Il revient sur cette appréciation, comme la fin de la citation montre. (J.C.T)
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